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Isabelle Bras
Co-fondatrice et trésorière de l'association Busabiclou, présidente de la maison des associations de Roubaix.
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Nicolas :
Je ne sais pas si vous savez, mais en 2020 la métropole européenne de Lille est la capitale mondiale du design.
Isabelle :
C'est ça oui !
Nicolas :
Il y a des gens à qui ça fait plaisir, d'autres que ça fait sourire, mais ça suscite plein de réactions. C'était un sujet qui était trop large pour que je puisse le traiter en six mois. Il cite beaucoup Copenhague, donc je suis allé à Copenhague et j'ai fait beaucoup de vélo.
Je me suis dit : « C'est marrant parce que dans le nord de la France, il y a quand même une tradition du cyclisme, mais il n'y a pas de pratique du vélo. »
En même temps, j'étais vraiment intéressé par une technique qui s'appelle le rétropédalage.
Isabelle :
Oui, les torpédo !?
Nicolas :
Visiblement, j'en parlais avec François, les torpédo, c'est quand les vitesses sont intégrées dans le moyeu et le rétropédalage, c'est quand le frein est intégré aussi dans le moyeu. C'est un freinage très doux, qui fait que l'on est obligé de beaucoup plus anticiper et ça a des conséquences sur comment on fait du vélo. C'est pour ça que c'était intéressant de parler avec François.
J'ai interrogé pas mal de gens à ce sujet-là, Andréas de La Fraise Cycles, j'ai rencontré le directeur du Stab que vous devez connaître, j'essaie de faire un peu le tour.
Isabelle :
D'usagers aussi ?
Nicolas :
D'usagers !
Isabelle :
Il y en a une là-bas, la grande mince, c'est une cycliste à fond. Elle va à vélo au boulot, ça vaut le coup de lui demander son avis.
Nicolas :
Je lui demanderais son avis. En voyant le busabiclou, je me suis demandé si le vélo ne pouvait pas être un vecteur d'intégration sociale ?
Isabelle :
Ça en est un ! Il y a busabiclou dont je suis trésorière, ça c'est un aspect. Sinon dans l'association dans laquelle je bosse qui s'appelle Astuce, on organise depuis le début des quartiers d'été, c'est-à-dire depuis 2011, des sorties vélo. Par exemple, on en a deux la semaine prochaine.
Ce que l'on a remarqué, c'est qu'il y a des gens qui au départ, n'osent pas faire du vélo tout seul avec leurs enfants parce qu'ils ne sont pas en sécurité. Ils ont peur de ne pas savoir maîtriser, pour eux même et surtout pour leurs enfants.
Ce que l'on a commencé à faire, ce sont des ateliers pour vérifier leur vélo, ou leur en prêter un. Souvent les gens n'en n'ont pas. Après, il y a des sorties au canal, ils se sentent en sécurité. D'être encadré ça les aide, parce qu'ils se disent, si je tombe en panne, je ne maîtrise pas la réparation, qu'est ce que je fais !? Si je m'en vais en balade avec mes gamins, si j'ai un problème de panne, comment je vais me débrouiller ? Le fait d'être encadré, ça les rassure un peu.
Nicolas :
C'est pareil en voiture ?
Isabelle :
Quand on est en voiture, on a quand même un engin qui est la voiture où on peut se protéger dedans. On a une assurance, on les appelle et l'assurance peut nous envoyer un dépanneur. Quand on est à vélo à quinze kilomètres de Roubaix, sous la pluie, avec un vélo crevé et des gamins qui ont aussi leur propre vélo, on n'est pas aussi autonome pour pouvoir appeler un dépanneur. Donc ça permet à des gens d'oser le faire, quand ils sont accompagnés.
La deuxième chose, c'est que quand on est en sortie vélo, ça concerne tous les âges. Les parents qui ont envie d'initier leurs gamins, on a des gamins qui ont envie d'en faire, mais qui n'ont pas le droit de le faire parce que souvent, il faut un éducateur sportif. Aujourd'hui, éducateur sportif ça veut dire, des compétences, des brevets, des assurances et dans les centres sociaux, il y en a de moins en moins qui ont cette compétence.
Dans les clubs de prévention pareil, ils n'osent plus parce que ça demande des garanties, des assurances en cas d'accident, ça devient compliqué. Nous, on ne peut pas prendre en charge directement les enfants, c'est pour ça qu'on le fait en sortie familiale. En sortie familiale, on a des gens de toutes catégories sociales. On peut avoir le gamin du coin avec ses parents, on peut avoir la dame bobo, qui adore le vélo, sur le côté transition écologique, on a plusieurs types de catégories et ça permet de croiser des publics vraiment très différents. Ça, c'est ce qu'on constate. Ça fait se rencontrer des publics qui ne se croiseraient pas, de façon ordinaire, dans la vie courante. C'est clair que ça permet de croiser les publics.
Après ça demande une organisation, une logistique et aussi de se protéger soi-même quand on est une association pour ne pas se retrouver en difficulté en cas d'accident parce que c'est tellement contraignant.
Nicolas :
Oui, comment ça se passe ?
Je ne sais pas comment ça se passe du point de vue des réparateurs de vélo. Il y a en effet une prise en charge des assurances quand ils réparent un vélo.
Isabelle :
Logiquement, on n'est pas sur une réparation professionnelle dans le sens où on n'est pas un magasin réparateur de vélo. Lui, il a une obligation comme un garage. Nous, on est sur une aide à la réparation, les gens ne sont là pas en tant qu'assisté, mais on leur prête assistance pour qu'ils apprennent à réparer, c'est différent !
Le principe, c'est qu'on apprend à pêcher un poisson et pas à pêcher pour eux. Ce ne sont pas les mêmes contraintes au niveau assurance. Ils participent aux réparations pour être de plus en plus autonome, pour sortir leur vélo qui a traîné depuis deux ans dans le garage parce qu'ils ne savaient pas le réparer.
Nicolas :
Oui, tout le monde a un vélo qui traîne.
Isabelle :
Il y a des gens qui viennent nous voir et qui nous disent : " ça fait deux ans qu'il est dans mon garage, je ne sais pas quoi en faire parce que je ne sais pas le réparer". Ce qui manque, c'est le petit coup de pouce, leur faire comprendre que ce n'est pas si compliqué que ça, qu'il y a des choses évidemment qui sont très techniques, qu'ils ont besoin de moyens et outils et de quelqu'un qui s'y connaît bien. Ils sont capables de le faire, au bout d'un moment, il devrait pouvoir le faire sans nous.
Nicolas :
Oui, être autonome !
Isabelle :
Voilà !
Nicolas :
C'est de l'accompagnement.
Isabelle :
Exactement ! Oui, c'est de l'accompagnement !
Nicolas :
Vous faites du vélo vous-même ?
Isabelle :
Oui, je fais du vélo ! Moins que je voudrais parce que j'ai souvent besoin de mon véhicule pour transporter tout mon matériel, je ne peux pas mettre ça sur une remorque à vélo, ou alors, il faut que j'ai un vélo électrique pour monter les côtes avec tout mon bazar.
Mais oui, je fais du vélo régulièrement. Un de mes loisirs préférés !
Nicolas :
C'est un loisir !?
Isabelle :
C'est un de mes loisirs préférés ! Pour deux raisons. J'aime le vélo depuis longtemps parce que j'ai des petits soucis de santé au niveau d'un genou et du dos. La marche au bout d'un moment, j'ai mal au genou et j'ai mal au dos. Alors que le vélo, je peux faire des kilomètres sans aucun souci. J'ai fait ce constat avec d'autres personnes qu'on a emmenées en balade, des gens qui n'avait pas trop de revenu, qui étaient au RSA. C'est aussi un avantage pour eux, parce que quand on est au RSA, on a une carte Transpôle, on a des moyens de locomotion. Mais il faut se déplacer à pieds. Finalement, on est moins autonome.
Il y avait aussi des gens qui ont des problèmes de poids. Le fait de marcher, à un moment, ça pèse sur le dos, ça pèse sur les jambes, les genoux, etc. Il y a des gens à qui on a dit : " Pourquoi vous ne prendriez pas votre vélo ? Vous n'allez plus avoir ce problème de santé." Effectivement, il y a des gens qui, malgré un surpoids, ont repris le vélo. On en a accompagné quelques-uns comme ça, on a vu les résultats et aujourd'hui, ils sont tout le temps à vélo !
Nicolas :
Oui, même si le surpoids est du a des raisons qui sont des fois difficiles à expliquer, en terme de santé publique, c'est quand même un sacré avantage !
Isabelle :
Oui tout à fait. Mais on ne donne pas cet argument en premier, parce que ce n'est pas celui qui va passer. D'abord, il faut qu'ils trouvent un intérêt personnel à la reprise du vélo. L’intérêt personnel. Ça peut être une raison de santé, une raison financière, une raison d'autonomie pour se déplacer pour aller chercher du boulot. On a accompagné aussi ce genre de public avec un chantier d'insertion. Je parle de l'association astuce, pas de Busabiclou. Busabiclou, ce sont uniquement des réparations.
Mais sur de l'accompagnement RSA, avec des chantiers d'insertion, on nous demandait en temps que partenaire de montrer les itinéraires vélos. D'aider des gens qui avaient trouvé un boulot ou un stage et qui ne savaient pas s'orienter, mais qui étaient autonomes parce qu'ils avaient un vélo. L'idée, c'était d'aller bosser à cinq heures du matin ou des horaires un peu compliqués, de prêter un vélo. Par exemple, début juillet, on a un jeune qui a trouvé un boulot dans une pizzeria. Au départ, il voulait prendre un v'lille et se balader à v'lille avec ses pizzas derrière. Mais les v'lille, c'est une catastrophe sur les pavés.
Nicolas :
En règle générale, c'est vrai que les v'lille ne sont pas terribles.
Isabelle :
Lui, ses pizzas sur le dos, plus le v'lille avec les pavés ! On lui à prêté un vélo, un VTT pour qu'il puisse faire son boulot d'été dans de meilleures conditions. Ce sont des choses qui vont faciliter la vie des cyclistes. Ça peut être dans le cadre professionnel, trouver les parcours pour trouver du boulot, des horaires inadaptés, pour éviter de prendre le bus tôt le matin ou tard le soir et puis le v'lille, ce n'est pas adapté à tous les cyclistes.
Nicolas :
Oui, je suis assez critique envers les v'lille.
Isabelle :
Alors qu'au contraire, ça doit être un plaisir ! Le vélo doit d'abord être une découverte, un plaisir. Pour devenir de plus en plus utilisé. On ne se sent pas en sécurité sur un v'lille, moi la première, je ne me sentais pas en sécurité, ça ne donne pas envie de continuer.
Et puis, il y a aussi des contraintes toute bêtes. On en parlait hier, quelqu'un qui voulait réserver un v'lille à Roubaix, impossible parce que la machine ne voulait pas lui enregistrer son ticket. Alors peut-être que c'est à cause de la canicule, il parait qu'il y a plein d'appareils informatiques, même dans les voitures, qui tombent en panne ou qui se dérèglent à cause de la canicule, deuxième argument pour qu'on n'arrive pas à avoir son v'lille.
Nicolas :
Quand j'ai voulu en prendre un, ça a été compliqué. Ce sont des questions de service qui ne sont pas au point, qui ne sont pas optimales.
Isabelle :
Ça fait longtemps que ça existe, il ne devrait plus y avoir ce genre de problème technique.
Nicolas :
Le service de v'lille donne un peu l'impression d'avoir été fait à la va-vite et un peu comme la piste cyclable du grand boulevard.
Isabelle :
Pas que celle-ci ! Les trois-quarts. Ça commence à s'arranger, ce n'est pas pour dire aujourd’hui que ça ne va pas bien. En tant que présidente du comité de quartier ici, on était associé aux réunions sur les questions de vélo à Roubaix. Quand on avait des réunions sur les questions de circulation, de sécurité et ce qu'il fallait mettre en œuvre comme aménagement, le domaine de la compétence, ce n'était pas celui de la ville, c'était celui de la Métropole Européenne de Lille. Dès qu'on avait à faire à la ville, il n'y avait pas de soucis. Les techniciens comprenaient bien nos arguments, ils les vivaient eux-mêmes parce qu'ils vivaient à vélo. Mais quand on avait à faire aux techniciens de la MEL, soit ils ne font pas du vélo, soit ils sont très techniciens je-sais-tout, c'est moi qui détiens le savoir et le pouvoir. Vous, vous n'êtes que des usagers, vous n'avez ni expérience ni d'expertise à donner, alors qu'on est le premier expert du terrain. Ils n'entendaient rien, quand on leur disait, si vous voulez que le vélo vienne à Roubaix, il faut que les gens se sentent en sécurité, il faut qu'ils aient des vraies pistes, comme en Belgique.
La Belgique, elle a trente ans d'avance sur nous, pourquoi vous ne prenez pas exemple sur la Belgique ? Ils ont plein d'expérience. Ils savent les erreurs qu'il ne faut pas commettre, allez voir en Belgique ce qui se passe !
Mettez des choses qui sont matériellement facile à comprendre pour les gens, tout simplement des marquages au sol qui soit efficaces pour ne pas que les gens se disent : la voiture va aller sur mon territoire ! Il faut que le marquage soit clairement identifié. Que chacun ait son territoire et que la voiture n’empiète pas sur les pistes. Non ça, c'était impossible pour eux, ils ne l'entendaient pas. C'était le cycliste, notamment quand on leur disait : mais les enfants, comment voulez vous qu'on ose les envoyer en tant que parents ? C'est impossible. Envoyer des enfants à l'école à vélo, même des lycéens à vélo, comment voulez-vous qu'on ait confiance, c'est impossible. Ils répondaient : " oui, mais il faut que les jeunes apprennent tout de suite les dangers de la route. Il faut qu'ils apprennent tout de suite qu'ils sont dans le même terrain que les voitures et qu'ils apprennent à gérer les voitures".
Alors que ça devrait être l'inverse, ça devrait être aux véhicules voitures qu'on apprenne à respecter les vélos. Non, c'est tout de suite, il faut qu'ils apprennent les dangers de la route et qu'ils soient en situation de maîtriser les dangers.
C'est complètement l'inverse.
À Roubaix, encore aujourd'hui, vingt ans après, parce que pour moi ça fait vingt ans que l'on parlait de ça, on a toujours les mêmes questions. Ils ont fait des aménagements qui ont coûté la peau des fesses, Boulevard de Metz par exemple à Roubaix, Boulevard de Strasbourg. On arrive dans des goulots d’étranglement aux feux rouges, la piste à disparu, on a un camion à côté, le vélo est coincé sur le trottoir. Ce sont des choses qui ont été faites il y a dix ans, qui auraient pu être évitées s'ils nous avaient écoutés en tant que cycliste. On était plein à le dire, des comités de quartier, des usagers. Jamais, ils ne nous ont pas entendu.
Nicolas :
D'après vous, c'était dû à quoi ? Ils n'avaient pas un tissu associatif au niveau du vélo assez fort pour les faire changer de point de vue ?
Isabelle :
Il y a deux questions. La MEL, de toute façon quelles que soient les prérogatives de l'époque sur d'autres thématiques, pas que sur le vélo, mais à chaque fois qu'on avait à faire à la MEL, c'était les techniciens qui avaient le savoir donc le pouvoir. Nous, on était consulté, mais pas concerté. Ce n'était pas la culture des services techniques. Aujourd'hui, je pense que ça bouge un peu, ils sont plus dans de la concertation et moins dans la consultation. Tous les sujets, c'était, on vient vous consulter, mais de toute façon, c'est nous qui savons.
Les questions de vélo, il y avait aussi un accompagnateur officiel, l'ADAV. Qui est toujours, officiellement, celui qui a l'expertise du vélo en tant qu'association. Mais l'ADAV, c'est pareil, plein de gens me l'ont dit, il n'y a pas que moi qui ait cet avis-là. Sur le thème du vélo amateur, pas vélo professionnel, mais vélo amateur, ils ne pensent pas vélo famille. Vélo avec des enfants, ce n'est pas leur truc. Ils n'ont pas cette logique. Ils font du conseil à la MEL, mais enfin pas qu'à la MEL parce qu'ils sont sur l'ensemble du territoire aujourd'hui, mais leur conseil, c'est lié à leur façon de penser, qui n'est pas une façon de penser pour les familles
Nicolas :
Vous parlez de vélo club, on serait presque plus dans le cyclisme ?
Isabelle :
Presque ! Les gens qui font du vélo amateur tous les jours, pour aller au boulot, pour leur loisir personnel, mais pas dans la logique, on veut se balader en famille. On veut que les jeunes soient à vélo, on veut que les enfants soient sur des vélos. Ils ne sont pas sur cette thématique.
Nicolas :
Quand j'entends ce que vous dites, j'ai l'impression, en tout cas aux abords de Lille, je pense à la voie cyclable trente-deux, pour aller jusqu'à Comines. Je ne sais pas si on peut appeler ça une piste cyclable, mais c'est une piste en tout cas, mais c'est quand même assez sécurisé. Alors en effet, ça reste les abords de Lille et ça reste de l'autre côté, peut-être qu'à Roubaix, c'est différent.
Isabelle :
Les aménagements depuis cinq ans, ils bougent. Mais c'est tous ceux d'avant, une fois qu'ils sont faits, ils sont faits ! Ils ne vont pas revenir dessus !
Nicolas :
J'ai l'impression qu'ils mettent beaucoup l'accent sur le vélo loisir et pas tellement sur le vélo quotidien !
Isabelle :
Alors ils mettent le vélo loisir, mais pas dans le vélo familial.
Nicolas :
C'est quoi pour vous la différence ?
Isabelle :
La différence, c'est que le loisir, je fais une sortie vélo avec mes copains ou des adultes, mais je veux être en famille, je veux que mes enfants se sentent en sécurité, je veux me sentir en sécurité sur des pistes et avec mes gamins. Je veux que mes gamins aillent à l'école à vélo, il n'y a pas cette logique. L'avenue des Nations Unis à Roubaix par exemple, c'est un axe très fréquenté, c'est carrément une autoroute, qui part de la voie rapide jusqu'au centre-ville. C'est une grande voie qui pourrait être empruntée par les vélos parce que ça va au lycée saint Rémi, au centre-ville. Ce lieu est très accidentogène.
Récemment, ils ont mis un radar pour diminuer à trente. Parce qu'il y a eu plein d'accidents. Il y a eu des morts en 2018, des jeunes. Parce que ça va vite, il y a des sorties d'écoles, il y a des piétons à cet endroit. Il y a des jeunes qui pourraient y aller à vélo. Ils pourraient aller au lycée ou à l'école, mais c'est impossible.
Nicolas :
C'est comme l'avenue Gustave Delory. C'est un coupe-gorge.
Isabelle :
C'est la même chose. C'est la même logique et ça a été rénové récemment, c'est très récent l'aménagement de l'avenue Gustave Delory. On ne devrait pas trouver ce genre de problème aujourd'hui. Il y a trois jours, l'adjoint au développement durable de la ville de Roubaix a demandé une sortie organisée avec les services de la MEL. Ils les ont mis à vélo et ils se sont rendu compte qu'ils avaient très peu la pratique du vélo. Parce qu'ils se sont retrouvés dans des situations accidentogènes, dans des ronds-points, dans des endroits où les aménagements n'étaient pas faits.
Nicolas :
Quand on voit comment c'est aménagé, c'est que l'on n'a jamais fait de vélo.
Isabelle :
Exactement !
Nicolas :
C'est qu'on se dit : On a des voitures, il faut qu'on fasse un peu de place, là ça ira bien.
Isabelle :
On ne voit pas que le virage est mal fait pour les vélos.
Nicolas :
On va mettre une bande de peinture ça ira bien.
Isabelle :
Oui c'est ça ! C'est tout.
Nicolas :
Je vois très bien.
Isabelle :
C'était mardi ça. Ils ont fait ça avec les services de la MEL et ils les ont mis en situation. Ils ont fait dix-sept kilomètres à Roubaix. Pour se rendre compte en effet, que c'était très mal aménagé.
Nicolas :
Ça me fait penser au design thinking. Le design thinking c'est une méthode de travail, dans laquelle la première chose que l'on fait, c'est de tester, de faire l'expérience des choses pour comprendre.
Isabelle :
Oui, on expérimente toujours. On fait une expérience avant de lancer le truc.
Nicolas :
Même pour voir qu'est ce qui ne va pas, où est ce que ça bloque, qu'est ce qui est gênant, qu'est ce qui fait peur.
Isabelle :
Et c'est dans tous les domaines.
Nicolas :
Exactement.
Isabelle :
On fait un prototype.
Nicolas :
Oui, ou on teste. On fait l'expérience de ce qui existe déjà et à partir de ce qui existe, qu'est ce qu'on pourrait imaginer pour que ce soit encore mieux.
Isabelle :
Ils ne le font pas. Ils font directement l'aménagement. Pour ça, ils utilisent l'argent du contribuable, qui est le nôtre. C'est notre argent qu'ils utilisent pour faire des aménagements qui ne valent rien. C'est aussi ce qui est rageant. Parce que ce sont nos impôts qui payent ça. Mais ce sont eux qui ont l'expertise et qui ont le savoir. Ils n'en démordent pas, ça ne concerne que les techniciens. Les élus sont plutôt du côté des citoyens parce qu'ils veulent aussi faire avancer les choses.
Maintenant, comme c'est essentiellement la MEL qui gère, les élus locaux ont du mal à influencer, parce qu'ils n'ont pas la maîtrise. Hier, on a fait une journée avec Alternatiba. On a fait une sortie vélo, une vélorution, parce qu'ils étaient à Roubaix. On parlait des aménagements et on a pu voir ce qui n'allait pas aussi avec eux.
Ce que je disais, c'est qu'il serait bien d'encourager le côté ludique. Par exemple le design du busabiclou, quand on a imaginé le projet, on s'est dit, il faut que le bus donne envie. C'est un objet publicitaire en tant que tel, c'est pour donner envie de faire du vélo. C'est pour ça qu'on a fait appel à des graffeurs. Les aménagements en ville, ça devrait être la même chose. C'est-à-dire qu'il faut donner envie en ayant un design sur l'espace public. Qu'il y ait des choses rigolotes pour les gamins sur les pistes cyclables, des graffitis, des machins. Pas que des aménagements avec des poteaux.
Par exemple, avenue des Nations Unis, ils ont mis un radar à trente kilomètres par heure que personne ne voit. Ils vont se faire aligner et dans deux mois ils auront tous des milliers d'amendes. On punit l'automobiliste, mais on ne fait pas d'éducation. Simplement lui dire : attention, il y a une sortie d'école où il y a eu plein d'accidents depuis six mois. Simplement faire un design qui prévient les gens, qui fassent de l'éducation, pour leur dire :  Ce sont nos enfants qui sortent de l'école à cette heure-ci. Ralentissez, on est à trente, vous aller avoir une amende si vous êtes au-dessus de trente. Ce n'est pas mettre un radar caché. Il faut qu'il y ait des panneaux qui fassent de l'éducation et ça il n'y a rien.
Nicolas :
Il y a plein d'usages qui se mettent en œuvre de par la cohabitation de tous les modes de transport.
Isabelle :
Mais ça demande plus de marquage. C'est pareil le marquage, même si elles ne sont pas surélevées comme en Belgique, au moins que le marquage au sol marque une frontière. Que les voitures n'aient pas le droit de la franchir. Il faut les peindre, il faut mettre des marquages fréquents. Non ! On est sur une voie trente, on met un marquage, tous les deux-cents mètres, un petit pouf, un petit vélo tout les trois-cents mètres ça suffit. Les voitures ne vont pas comprendre. La nuit, on ne voit rien. On ne les voit pas les marquages, on ne voit pas non plus la bande, on ne voit rien. Quand il pleut, on la voit encore moins. Quand il pleut et qu'il fait nuit c'est le plus dangereux.
S'il y avait une voie qui était vraiment délimitée avec une peinture au sol qui montre qu'il y a une frontière qui est infranchissable, ça marque déjà le territoire de chacun, c'est notre territoire vous n'avez pas le droit d'y toucher. C'est important de le faire pour que les cyclistes se disent : là, je suis chez moi, les voitures n'ont pas le droit d'y aller. On se fait klaxonner combien de fois quand on est à vélo. Parce que soit disant, on n'est pas au bon endroit.
Nicolas :
On n'est jamais au bon endroit à vélo, c'est une lutte de pouvoir pour l'espace public.
Isabelle :
Oui, c'est ça. Mais il y a du boulot en design.
Nicolas :
Il y a plein de choses à faire. Vous parliez de prévention, d'aménagement du territoire. Il y a énormément à faire.
Dérapage contrôlé ?
une phénoménologie du rétropédalage.
Nicolas Duchêne sous la direction de Miguel Mazeri
ENSCI-Les-Ateliers - 2019